« Mémoire de réalités », l’exposition de Kaia Kiik·

Kaia Kiik, copyright Ouest-France, photo de Kristian Godinec

Les abstractions concrètes de Kaia Kiik

« Quand il n’y rien dans mon travail qu’on ne puisse trouver dans la réalité, alors ce n’est pas une œuvre » (Kaia Kiik)

En entrant dans l’espace, on est d’emblée confronté à un monde qui apparaît abstrait, minéral, figé ; on perçoit des surfaces irrégulières, des failles, des monticules, des variations de gris et de beige, du sombre au clair, et ici ou là des touches de couleurs. C’est comme si on avait devant soi des paysages vus d’en haut, mais à travers des lunettes grossissantes qui réduisent l’étendue du regard et figent les détails.

En s’approchant, en passant de tableau à tableau, on devient sensible à la diversité des mondes en présence. On passe d’un bout de réalité à l’autre, chacune sortie de son contexte et mise à nu dans ses éléments de base. Et on comprend que Kaia Kiik travaille dans un mode concret, loin de toute abstraction. Ses tableaux sont comme des bribes d’une réalité, des mémoires transcendées du monde. L’envie vient alors de toucher les tableaux, de faire l’expérience de leur matérialité, de sentir sous sa main toute la rugosité et l’irrégularité des surfaces, de suivre leurs creux avec ses doigts, de longer les failles creusées ici et là par l’érosion naturelle, laquelle fait partie du processus de création de l’artiste, et de repérer les objets incrustés qui sont autant de signaux pour éclairer le monde qui résonne dans le tableau. La diversité des mondes présents dans l’espace est immense : de l’estran de la baie de Somme aux paysages volcaniques de l’Ile Maurice, du désert du Mexique aux tourbières de l’Estonie, de la ville et ses déchets aux haras plus familiers.

Les mondes de Kaia Kiik sont toujours ancrés dans la réalité et liés fortement à la Nature. Mais ils ne sont pas faits que de minéralité. Dans une autre partie de l’exposition, d’autres œuvres, d’une transparence trouble, donnent à voir un monde marin, à la fois réel et imaginé, dans lequel flotte une végétation souple. Il s’en dégage une atmosphère particulière, un monde onirique et doux, un monde mouvant qui pourrait à tout moment s’animer.

L’ancrage dans la nature peut prendre d’autres formes encore, par exemple ces formes archaïques en silex produites dans les falaises à l’entrée de la baie de Somme, expulsées ensuite par les processus naturels d’érosion auxquels est soumise la falaise, et transposés par l’artiste en de petites figurines en bronze aux formes tout aussi archaïques qui cherchent le dialogue avec leurs ancêtres millénaires en silex.

Juillet 2025, Erhard Friedberg, commissaire de l’exposition

« Continuum », de Christine Le Nézet

Christine Le Nézet

Du 5 au 30 juin 2025 à l’espace de Poulguen

La saison 2025 démarre avec la plasticienne Christine Le Nézet qui vit et travaille à Quimper et dans la campagne bigoudenne. Cette artiste à l’œuvre éclectique et créative vient à nous avec Continuum, ou la proposition d’une déambulation à travers des oeuvres de 2010 à 2025.
Christine Le Nézet utilise des matériaux glanés ou récupérés pour leur donner une autre vie, en les faisant partie intégrante de ses œuvres. Cela participe d’un art du brouillage qu’elle pratique avec talent.


« Continuum » , « continuité dans l’espace ou le temps »
Christine Le Nézet, Le Guilvinec, Juin 2025

Ce terme s’ajuste à cette exposition où je mets en scène des œuvres de temps différents allant de 2010 à 2025. Œuvres rêvées, conçues et réalisées dans des lieux et des espaces de création variables, de la Normandie à la Bretagne, de la chambre-atelier à des espaces plus vastes, lieux de résidence ou de villégiature. Il y a des naissances multiples au terme d’accouchements parfois faciles et joyeux, parfois déchirants et violents, parfois rapides et fulgurants ou longs et épuisants.Cette exposition fait cohabiter des peintures, des gravures, des « objets ». Il y a à expérimenter un mélange d’œuvres qui se font écho les unes aux autres.
Pourrez-vous suivre le cheminement de ma pensée, l’élan de ma démarche artistique dans cette promenade au sein de mon univers ?

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J’envisage que ces œuvres juxtaposées nouent des relations. Je suis persuadée que les œuvres sont vivantes et je les retrouve avec surprise quelques années plus tard. Elles m’ont échappé…elles se sont émancipées…
Face à ce méli-mélo d’œuvres, j’ouvre les yeux sur des formes simples où j’entrevois l’infini, je revis l’apprivoisement de papiers qui ont déjà vécu, je m’amuse de la sublimation de certaines matières sans valeur.
Par cette exposition où des synchronicités se révèlent, je suis immergée dans le continuum de ma pratique artistique et de mon existence.

Août 2024 – Impressions d’une exposition

Par Erhard Friedberg

Les sleepers Y, émail sur toile, 129X30 – 2024

En entrant dans l’exposition, on est d’abord subjugué par l’éruption des couleurs qui remplit les yeux. Trois grandes toiles alignées dans lesquelles se joue la danse des couleurs autour d’un centre doré, tantôt placé en haut de la toile, tantôt en son centre. A côté, une série de cartons suspendus dans lesquels se joue la même confrontation de couleurs, mais de manière plus épurée et économe.

L’artiste utilise l’encre de chine qui a la particularité de ne pas se recouvrir, mais de se mêler. Les teintes obtenues ne sont pas toujours prévisibles, en fonction non seulement de leur juxtaposition, mais aussi en fonction de la nature du support (toile ou carton).

Danijela Gracner est une artiste gestuelle, instinctive, qui crée à travers des ajouts de touches successives qui sont autant de gestes de création. L’œuvre émerge et se constitue progressivement jusqu’à ce que l’artiste juge ne rien pouvoir ajouter.

Mais Danijela Gracner a plus d’une corde à son arc, et son art ne se résume pas au gestuel. Il y a aussi la série des « sleepers », qui coexiste avec une autre série appelée « Byzantine Warriors », laquelle n’est pas représentée dans cette exposition.

La série des « sleepers » confronte le spectateur avec un alignement de silhouettes posées les unes à côté des autres. Elles sont plus ou moins détaillées, plus ou moins précises, mais le plus souvent très stylisées, réduites à l’essentiel. Le support de ces silhouettes est tantôt une toile, tantôt une planche de bois. Dans le premier cas, le matériau utilisé est l’émail coulé sur la toile à l’aide d’un bâton. Dans le second, les silhouettes sont dessinées et peuvent selon les cas être soulignées par l’ajout de matériaux comme du sable noir. L’inspiration est clairement la frise telle qu’on la trouve dans les temples antiques.

Mais c’est surtout le contraste entre ces deux séries d’œuvres qui frappe le visiteur. D’un côté l’éruption des couleurs et du geste, de l’autre le calme de ces silhouettes tournées vers le spectateur, qui le regardent, pour ne pas dire l’interrogent. On ne peut s’empêcher d’être ému devant cet alignement de contours de personnages qui invitent à la méditation. Elles nous renvoient à nous-mêmes, et nous interrogent sur notre attitude. Sommes-nous des « sleepers », sommes-nous restés endormis, laissant en friche des parties de nous-mêmes, à l’instar des silhouettes qui nous regardent ?

Libération par le geste ou amorce d’une réflexion existentielle : les deux séries d’œuvres sont bien les deux facettes complémentaires du processus de création qui forme un tout.